The Arab Spring: The Imaginary Borders of a ‘Revolution’

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To continue our discussion on ‘borders’, Simone Maddanu offers an insight into the permanent liminal time-space in which migrants who left Tunisia after the fall of Ben Ali are caught, in Lampedusa, Cagliari, Paris, Brussels and elsewhere. Highlighting the contradictory stories that emerge among Europeans from Tunisian descent who look at the Arab world for inspiration and Tunisians who see in Europe the constantly postponed promises of freedom and a better life , Maddanu attempts to define the shifting imaginary (and material) borders of the old continent.  These thoughts build on material collected during fieldwork among 760 undocumented Tunisian migrants who reached Cagilari after being dispatched by the Italian authorities from Lampedusa in 2011.

 

Le printemps arabe: une révolution, mais pas pour tout le monde

par SIMONE MADDANU*

 

Ces réflexions naissent d’un travail de terrain qui a débuté lors du déplacement de 760 migrants tunisiens illégaux vers Cagliari, en Sardaigne, débarqués quelques jours auparavant à l’ile de Lampedusa en 2011, suite aux révoltes/révolution en Tunisie. Deux articles (un en français et un en anglais) sont en cours de publication, coécrits avec Aide ESU, et se focalisent sur le statut semi-libre des migrants dans le centre d’identification et d’accueil de Cagliari, sur les récits de leur voyage et sur leur rapport avec la ville pendant leur séjour forcé.   


En travaillant en Europe, attentifs aux phénomènes qui traversent, dans le vrai sens du terme, la Méditerranée, nous avons tous été confrontés avec l’idée Braudelienne d’une Méditerranée ouverte, qui aurait été le lieu de la première globalisation. Une Méditerranée où nous pouvons encore voir l’expression de l’échange du marché, plus que de la culture. Il nous reste aujourd’hui seulement une centralité imaginaire, l’idée d’une rencontre. S’il s’agit bien de globalisation, c’est dans la crise des frontières nationales et dans la spirale des migrations que nous devons la regarder.

Quelle histoire commune raconter aujourd’hui dans la « recherche » des frontières ? Entre le mois de mars et avril 2011, des milliers de tunisiens arrivent à l’ile de Lampedusa, en fuyant un pays qui vient juste d’en finir avec un régime considéré comme l’un des plus solides du monde musulman. Comment prévoir un tel mouvement social, une prise de conscience de soi en tant qu’individu et sujet (Khosrokhavar, 2012), capable de modifier son présent, de construire hic et nunc une nouvelle Histoire ? Quelle est donc l’histoire de ces migrants qui risquent leur vie à la poursuite d’un autre destin, ailleurs, dans la vielle Europe toujours rêvée, mais tellement changée depuis ? Pourquoi avoir choisi de partir à ce moment précis? Simplement parce qu’ils le pouvaient. L’effondrement rapide du régime et de ses systèmes de contrôle policier, notamment aux frontières, réveille un désir qui rime avec possibilité : l’espoir de réussite économique, d’un travail bien payé, l’accès à la consommation, à la modernité-modernisée.

Au-delà de Zarzis, vers Lampedusa, ce sera au destin d’en décider. Nous sommes confrontés à la même dimension onirique et de césure, d’un moment liminal, de passage tragique, que l’on retrouve dans le harraga, le voyage clandestin où l’on brûle ses papiers en disant adieu (à-Dieu, Inch’Allah), en quelque sorte, à ce qu’on était avant la tr-aversée (ou tr-épas). Lorsqu’on prend la mer sur des bateaux de fortune surchargés qui ont parfois du mal à flotter, on abandonne une partie de sa propre autonomie personnelle. On ne décide plus grand chose dans la bulle flottante, par excellence, de l’hétérotopie (Foucault, 1986). Elle ne se dissipe pas au moment de leur arrivée à Lampedusa : les procédures de contrôle et d’identification participent à la dépersonnalisation de leur propre identité. On devient un numéro. Une date. Un chiffre relatif à l’ordre d’arrivage de son bateau ce jour-là. Les migrants sont ensuite amenés dans un centre d’accueil, dans des files, dans l’attente ; puis finalement redirigés vers un autre centre d’accueil où ils seront retenus jusqu’à leur relâchement ou leur rapatriement. Les migrants tunisiens arrivés à Lampedusa en début d’avril 2011 seront obligés de remonter dans un autre bateau, d’y rester presque deux jours avant qu’on décide de leur destination temporaire, en Sardaigne. Encore une île. La politique de gestion exceptionnelle des migrants, de ce qu’on a appelé ensuite « émergence Afrique du Nord », s’appuie d’un côté sur la disponibilité des administrations régionales italiennes ; de l’autre sur une politique générale de confinement des migrants. C’est la continuité d’une hétérotopie dans la Méditerranée. Une dimension d’altérité spatiale et mentale. C’est dans la même définition de l’hétéro-ou-topos (utopie)/topos (lieu) que s’articule la sphère d’un voyage à travers les frontières. Nous pouvons y voir un passage dans le vide d’une existence retenue SUR la frontière. La frontière est alors espace liminal, pas-encore-atteint (comme dans le rêve d’utopie d’Ernst Bloch). A leur arrivée à Cagliari, beaucoup de migrants tunisiens ne savent pas que Cagliari se trouve dans une île. Ce n’est sûrement pas la destination de leur voyage, ni l’idée d’Europe qu’ils couvent depuis longtemps. D’une Ile à une autre, d’un espace frontalier à un autre. Toujours dans le passage.

Au sujet des récents événements qui ont chassé le régime de Ben Ali, ces migrants tunisiens, jeunes, souvent diplômés, surtout en provenance du Sud, ne parleront pas de révolution. Ce mot n’est pas présent dans leurs récits. On parle plutôt de « révoltes dans la rue », de « chaos ». La Révolution, comme nous l’appelons depuis l’autre rivage, n’est pas encore historicisée. La conscience de l’événement « tranchant » semble absente ou momentanément latente, suspendue. Ils disent avoir participé activement aux mouvements de révolte. Néanmoins, cette histoire semble archivée et indéfinie, ne comptant guère plus dans cet espace de frontière.

Le « rêve nocturne » (Bloch, 2005) DANS la frontière, peut-il effacer une sorte de double faute, de honte chez le migrant (pour parler dans les termes de Sayad, 1999), une fois confronté aux responsabilités envers son pays ? Avoir quitté le pays dans le moment de la reconstruction, du passage vers la démocratie, pour poursuivre des besoins matériels, peut être un élément que d’autres vont lui reprocher (« partir quand ton pays a besoin de toi »). Lorsqu’une jeunesse d’origine arabe en Europe a rêvé ou pensé orgueilleusement au printemps arabe, c’était probablement sans songer à la fugue, à la désertion. Comment peut-on encore croire et poursuivre l’idée d’une Europe qui n’est plus là (si jamais elle a existé),  justement quand l’ « Europe des post-migrants » regarde fièrement ailleurs pour être inspirée ? C’est ainsi que beaucoup, parmi ceux de la post-immigration, ont dû parfois interpréter l’arrivée massive de migrants. Ces derniers sont arrivés en masse en France, dans les grandes villes du Nord d’Italie, en Belgique ou ailleurs. Lorsque leurs amis ou parents établis en Europe n’ont pas pu les héberger, ils ont parfois rempli les jardins, les campements de fortune ou les foyers de banlieue, sous le regard interrogatif des tunisiens européens. C’est comme si deux récits d’histoire se confrontaient sans se comprendre.

Les migrants tunisiens illégaux arrivés avant  le 5 avril du 2011 obtiendront un permis de séjour de six mois qui leur permettra de voyager dans l’espace Schengen. Leur statut, presque dans la totalité des cas (on parle de plusieurs milliers de personnes) ne changera pas, en raison des difficultés d’obtention des papiers. Ils vivent toujours dans une clandestinité face à la loi, susceptibles d’être expulsés. Ils alimentent les filières de la vente de faux contrats de travail ou de résidence (allant de 6 à 12 mois, souvent achetés en Italie) qu’ils payent avec leur travail au noir, quand ils en ont la possibilité, ce qui prolonge leur droit de rester en Europe. Ils restent confinés dans l’incertitude et la précarité, sans pouvoir demander asile ni être régularisés. Ils restent toujours à la frontière, sans savoir de quel côté leur vie se construira.

 

Références

Bloch Ernst, Il Principio Speranza, Milano, Garzanti, 2005 (Das Prinzip, Hoffnung, Ière éd. 1959).

Foucault Michel, Of Other Spaces, Diacritics 16, Spring 1: 22-27, 1986.

Khosrokhavar Farhad, The new Arab revolutions that shook the world, Paradigm, Boulder, 2012.

Sayad Abdelmalek, La double absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré, Seuil, Paris, 1999.

 

*Simone Maddanu is a Research Fellow at La Sapienza University of Rome, Departement of Social Sciences, and member of CADIS in Paris (EHESS/CNRS). He works on social movement, new forms of political participation, the new generation of European Muslims and post-immigrant associations in Europe.

 

 

 

 

 

Cite this article as: Maddanu, Simone. April 2014. 'The Arab Spring: The Imaginary Borders of a ‘Revolution’'. Allegra Lab. https://allegralaboratory.net/the-arab-spring-the-imaginary-borders-of-a-revolution-by-simone-maddanu/

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